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Attaque de la diligence à Malause en 1817

Conférence par Geneviève Falgas le 20 novembre 2019 à 18h à la Médiathèque, salle Marcelle Duba.

L’affaire de la diligence Bordeaux-Toulouse, 10 et 11 Novembre 1817

   Dans la nuit du 10 au 11 novembre 1817, « à l’heure de une heure après minuit », la diligence de la ligne Bordeaux-Toulouse, avec à bord onze voyageurs, le conducteur et le postillon, arrivait « à la côte de Malause, canton de Moissac », « à l’entrée du bois de Piac ».

   Tout à coup des individus « armés de fusils, de munitions, de bayonnettes »,  ont entouré la diligence, l’un d’eux se portant à la tête des chevaux alors que tous criaient « Arrête » à l’adresse du conducteur.

   Puis les voleurs sont montés sur l’impériale, ont éventré les malles qui s’y trouvaient pour les fouiller, et ont forcé les voyageurs à descendre un par un, les détroussant de leur argent et de leurs montres. Pillant méthodiquement la diligence, ils ont ensuite éventré le « caisson » de la diligence qui renfermait une somme d’argent assez importante.

   Le Dossier très épais de ce procès d’Assises qui s’est tenu à Montauban, comprend plusieurs « cahiers d’information » qui développent, confirment ou  rectifient les déclarations notées dans ces cahiers, au fur et à mesure que se  succèdent les interrogatoires des prévenus, et les dépositions des nombreux témoins (Archives départementales Montauban).

   Voyager à cette époque est loin d’être une partie de plaisir. La notion de danger est très présente, que ce soit à cause des intempéries, du mauvais état des routes, des défaillances des hommes ou des chevaux, de problèmes liés aux voitures ou encore au brigandage. Les attaques de diligence ou de malles postes sont monnaie courante.

   L’enquête démarre très vite puisqu’elle commence à cinq heures du matin qui suit la nuit de l’attaque. Après le conducteur, c’est le postillon qui est interrogé, puis les voyageurs. Les uns et les autres sont invités par le juge d’instruction à réfléchir au moindre détail dont ils pourraient se souvenir.

   Un coup d’œil sur l’identité des voyageurs n’est pas sans intérêt : sept sur onze sont des représentants de commerce ou des négociants, et les autres, deux étudiants, un ancien militaire, un président de cour d’Assises. Presque tous, partant de Bordeaux, se rendaient à Toulouse, ce qui ne voulait pas dire que leur destination finale était Toulouse. De même, Bordeaux n’était pas forcément leur point de départ. Les dangers n’empêchaient pas les voyages.

   A rapidement succédé le temps des rumeurs, lesquelles se sont vite transformées en soupçons : le prévôt du département avait interrogé de nombreux habitants de Malause et de la région : ils déclarèrent avoir eu connaissance d’un vol de fusils « dans la Maison commune de Valence » quelques jours avant l’attaque et, par ailleurs, beaucoup avaient remarqué une aisance inhabituelle chez des gens auparavant misérables. Ils en désignèrent quelques-uns.

   Au détour de ces témoignages, apparaissent avec beaucoup de réalisme des scènes de la vie quotidienne dans ce village où la vie du petit peuple est  rude : ces « gens de métier » – forgeron, boucher, journalier, sabotier, etc. –  baignent dans une atmosphère de pauvreté, vivant aussi dans une grande indigence intellectuelle : les enfants ne vont pas à l’école, travaillent très tôt, les adultes sont pratiquement tous illettrés – ils ne savent pas signer leurs dépositions à de rares exceptions près. Certains ne connaissent pas exactement leur âge. Ils parlent patois, très malhabiles dans l’usage du français, et on peut se demander comment se déroulaient les interrogatoires entre des gens qui connaissaient mal le français, et qui avaient en face d’eux des hommes de loi qui le maniaient à la perfection.

   Vinrent ensuite les mandats de dépôts : huit personnes furent conduites en prison. Parmi lesquelles se détachent une jeune femme, Marie Gendre, domestique, âgée de 31 ans, son mari, le boucher Jean Ricard âgé de 66 ans, et leurs deux neveux, Jean Sarrau jeune, 16 ans, et Jean Sarrau aîné, 30 ans. 

   Marie Gendre, « travestie en homme », s’avéra être un des deux meneurs de l’attaque: dénuée de sentiments, cupide, elle tenta d’échapper à la justice en manipulant plusieurs de ses connaissances, les poussant à faire de faux témoignages. Elle dissimulait ses actes derrière de nombreux mensonges, ne manquant ni de ruse ni de finesse – bien qu’illettrée comme les autres. Mais tout finit par se retourner contre elle.

   Quant aux quatre autres participants à l’attaque, ils n’avouèrent rien, du début à la fin des interrogatoires.

L’enquête, qualifiée dans l’Acte d’accusation de « crime de vol, commis la nuit par plusieurs personnes armées, avec menace de faire usage de leurs armes, sur un chemin public », avait été rondement menée : commencée le 11 novembre à 5 heures du matin, quelques heures à peine après l’attaque de la diligence, elle se termina le 31 janvier 1818 : elle avait duré deux mois et demi ! Trente-trois témoins furent convoqués «pour l’audience de la cour prévôtale du département du Tarn-et-Garonne », le 29 janvier 1818. Puis vint l’Acte d’accusation, le 12 janvier 1818, suivi de l’arrêt de cette même Cour le 30 janvier.

   Les condamnations furent lourdes : à l’exception de Jean Ricard contre lequel aucune charge ne fut retenue et du deuxième meneur qui s’était suicidé, les six autres furent condamnés aux Travaux Forcés à perpétuité ; à être attachés au carcan, exposés aux regards du peuple pendant une heure, sur une des places de leur lieu de résidence, portant un écriteau avec inscrits « en caractères gros et lisibles leur nom, prénom, leur peine et la cause de la condamnation » ; et, pour parfaire le tout,  ils  furent condamnés à « la flétrissure », c’est-à-dire à l’application sur l’épaule droite « découverte » « d’un fer brûlant portant l’empreinte des lettres T.P. » (Travaux à Perpétuité). C’était l’époque où la Justice avait la main plus lourde pour « l’atteinte aux biens » que pour « l’atteinte aux personnes ».